Javolution

L'Inquisition de l'anti-populisme

May 30, 2020 • ☕️☕️☕️ 17 minutes de lecture

Parce que c'est notre projet !

L’Inquisition est une période qui a duré plus ou moins 500 ans au millénaire dernière, pendant laquelle on condamnait avec des méthodes d’enquête parfois douteuses ceux qui ne voulaient pas croire au dogmes de l’Église. Dieu merci, cette période est révolue, et je peux discuter librement de pour ou contre le purgatoire avec ma soeur (qui est une lectrice assidue je le sais), sans qu’elle me trahisse auprès du Pape et que je finisse sur un bûcher.

Le propre d’une religion quelle qu’elle soit, outre le message positif qu’elle peut transmettre, c’est de demander à croire des choses fondées sur certains éléments qui peuvent défier la science, la logique, le palpable. La transformation de pain en chair, la réincarnation en fourmi, le dieu de la pluie et du beau-temps, les conséquences du sacrifice d’une chèvre, que sais-je. Tout le défi, c’est d’y croire. Une vie de croyant, c’est une vie de doute aussi, puisque de fait, c’est parfois difficile de croire à quelque chose d’intangible. Loin de moi l’envie de dissuader quiconque de ne plus avoir ses croyances : la religion a de bon qu’elle apporte une spiritualité souvent intéressante, et surtout une foi qui peut soulever des montagnes. Si ça peut aider des gens, alors tant mieux pour eux.

Tant que ça reste dans le domaine de la spiritualité, pas de problème. Mais lorsque la politique devient religion, ça dérange un peu plus. La politique, ça n’est pas fait de croyance. Ou plutôt, oui il y a besoin de croire en certaines choses, mais à un moment donné, ces choses doivent être tangibles, palpables, et si ce n’est pas le cas, elles doivent être écartées.

Exemple avec le communisme soviétique : ça part peut-être d’un bon sentiment, en souhaitant l’égalité de tous, avec la santé, la prospérité, le bonheur en somme. Mais à un moment donné ça a complètement disjoncté, puisque beaucoup de gens ont souffert, ont été assassinés en son nom, pour un idéal qui finalement ne s’est jamais réalisé. Donc ce communisme a écarté bien heureusement, comme beaucoup de systèmes politiques avant et beaucoup d’autres à venir. Pareil avec l’ultra capitalisme de l’idéal américain et anglo-saxon : c’est sympa que tout le monde soit libre de faire ce qu’il veut, sans règle, sans régulation aucune, mais lorsque ça enfante la finance-à-haute-fréquence-casino qui fait n’importe quoi, jusqu’à produire des crises à répétition et un effondrement économique mondial comme en 2008, on fait le bilan des erreurs passées, et on doit réguler. Un jour peut-être…

Pour résumer, lorsqu’en politique un projet ou un idéal auquel on croit au début ne s’avère pas répondre aux promesses qu’il vendait, on l’écarte. Si on ne le fait pas, et si on l’impose aux autres malgré tout, ça rentre dans le domaine inquisitoire.

Dans ce registre de la “bonne pensée obligatoire”, citons donc l’anti-populisme qui, s’il ne tue pas, se défend pas mal dans ce qui est d’imposer à d’autres ses croyances. L’anti-populisme est en pleine phase d’inquisition. Heureusement, le tribunal n’est que médiatique, donc il ne tue pas à proprement parler, mais il tue la pensée, il tue les pensées qui vont contre ce qu’il défend.

J’ai eu envie d’écrire cet article après avoir entendu une caricature de son exercice : l’entretien du mercredi 27 mai d’un inconnu pour moi, Marc Lazar, historien de Science Po, par Léa Salamé et Nicolas Demorand. Deux journalistes que j’écoute tous les matins, et que je respecte même s’ils dévient à certains moments vers l’anti-populisme : c’est pas grave, ils ont d’autres qualités.

Quelques retranscriptions, presque en intégralité parce presque que tout vaut le coup. Je ne pense pas avoir déformé leurs propos en faisant mon tri mais je vous laisse prendre le soin de l’écouter en entier pour vous en assurer par vous-même. Entre crochets, je paraphrase en plus court ce que disent les acteurs.

Marc Lazar: Dans nos démocraties, évidemment il y a une grande inquiétude, y compris parce que pour la France ça s’accompagne d’une immense défiance à l’égard des autorités publiques.

Nicolas Demorand: Alors justement, pourquoi ?

Marc Lazar: [Pour la faire courte et en paraphrasant : d’habitude c’est plutôt en Italie que le peuple défie le pouvoir, et pas en France, alors que là c’est l’inverse. En Italie, Giuseppe Conte a 60% d’opinion favorable, mais selon l’invité c’est plus l’État italien protecteur que Conte en personne qui a ce soutien]. D’autre part, il y a l’affirmation d’un sentiment, je ne voudrais pas dire nationaliste, c’est-à-dire au sens agressif que peut comporter ce terme en français, moi je l’appelle un peu nationalitaire : on en bave, c’est terrible ce qu’on vit, en plus il y a ce sentiment que l’Europe a abandonné les italiens, et donc nous nous affirmons comme une réalité nationale, et donc on affirme notre solidarité.

Remarquez dès le début un problème presque pathologique de notre invité avec le concept de nation. Vu que l’anti-populisme est pro-européen, pro Union Européenne, si on parle de nations et de solidarité nationale, on est anti-européen, et donc populiste, automatique. Pas plus de réflexion que ça. Même lorsque ça fait sens, quand la République Tchèque vole des masques destinés à l’Italie par exemple.

Léa Salamé: Mais y’a pas eu ce double sentiment dont vous parlez en France ? L’État a été protecteur également et il y a eu ce sentiment aussi national, appelez-le comme vous voulez, [et pourtant ça ne se voit pas sur les études d’opinion sur Emmanuel Macron, pourquoi] ?

Léa Salamé prends moins de pincettes, elle a raison.

Marc Lazar: Vous avez raison, et toutes les enquêtes montrent un niveau de défiance considérable : 80% des français considèrent qu’on leur a caché des choses, que le gouvernement devra rendre des comptes […], la question c’est pourquoi ?

À la question “pourquoi ?”, si on me la posait, je répondrais cela : parce que, s’agissant des masques par exemple, lorsqu’on choisit l’option de mentir plutôt que de décrire et d’expliquer, on choisit directement la défiance plutôt que la confiance.
Certains diront que mentir était la meilleure chose à faire à ce moment donné pour ne pas exciter les foules, les paniquer. Effectivement, peut-être que dans certaines situations il vaut mieux un mensonge d’État que la vérité.
Personnellement je suis loin d’en être convaincu, encore moins pour ce sujet des masques. Mentir, c’est donner le bâton pour se faire battre : vérité et confiance vont de paire. Quand on ment, la confiance se perd.
Notre invité choisit une autre tournure nettement plus complexe :

Marc Lazar: [suite] Je crois qu’il y a deux type d’explications. La première conjoncturelle que nous connaissons tous : Macron a une grande impopularité, il y a eu la crise des gilets jaunes, la crise de la réforme des retraites, qu’il y a eu la crise aussi du personnel de santé, qui réclamait depuis longtemps plus de moyens matériels et on n’a pas donné satisfaction à ce personnel qui s’est retrouvé en première ligne, et donc toute une partie des français considèrent qu’ils avaient raison. [La deuxième serait historique : en bref, les français aiment l’état fort, en qui ils ont confiance et dont ils seraient fiers] Mais quand cet État déçoit, évidemment la colère gronde. […]

C’est tourner autour du pot. Oui la défiance existait avant cette crise, mais le mensonge a détruit toute confiance qui aurait pu exister auparavant. Sauf chez ceux pour qui la Macronie est une religion, et qui acceptent les mensonges pourvu qu’on ne touche pas à leur Dieu.

Nicolas Demorand: [Qu’est ce que Macron peut faire pour restaurer la confiance ? Changer de cap politique ? De logiciel intellectuel, idéologique ? Se servir des instruments institutionnels ?] Que faire, que dire ? Que penser ?

Marc Lazar: [Rires de tous] C’est une question difficile, et je ne suis pas le conseiller politique d’Emmanuel Macron, je précise parce qu’en général y’a des réactions suite à mes interventions…

Effectivement, c’est mieux de préciser avant de voir le traitement de faveur que Macron reçoit par rapport aux autres acteurs politiques.

Marc Lazar: [suite] Mais je crois qu’il y a un travail sans doute d’abord, qu’il a commencé à, je dois dire, à faire, de reconnaissance des erreurs. Et il l’a dit qu’il y a eu des erreurs sur la politique de santé, oui il y a eu des erreurs sur la question des masques, ça il l’a nié, la question des tests, oui, sans doute parce qu’il y a eu beaucoup d’improvisation. [Même si c’est aussi la faute des médecins qui ont tout dit et son contraire]. Il y a sans doute aussi à restaurer la confiance. […] On parle beaucoup de la défiance des français à l’égard des responsables politiques, mais je crois que les responsables politiques doivent faire confiance aussi aux français. […] La contestation de la démocratie actuelle est liée au fait qu’il n’y a pas assez de démocratie.[…]

Beaucoup de blabla, en reconnaissant rapidement le mensonge. J’ai comme l’impression que si ces erreurs avaient été faites par un Le Pen ou un Mélenchon, son indulgence aurait été bien moins flagrante.

Léa Salamé: Marc Lazar, si on est honnête, en France la défiance ne touche pas que les politiques, elle touche aussi la parole scientifique, vous en parliez, quand elle est institutionnelle, elle touche aussi la parole médiatique ou journalistique, particulièrement, singulièrement quand elle est “mainstream” comme on dit, c’est une nouvelle phase dans le phénomène de contestation des institutions et des autorités quelles qu’elles soient. Comment vous expliquez ce phénomène ?

Marc Lazar: Vous pourriez rajouter dans la liste les universitaires, donc moi-même, le pouvoir académique, oui vous avez tout à fait raison. […] Il y a cette situation de fossé entre une partie des français et justement ce qu’on appelle “les élites” politiques, culturelles, médiatiques, d’entreprise, du monde de la finance, et c’est grave dans un pays comme le nôtre.

Le constat est là, c’est déjà une chose. Oui il y a défiance. Et cela restera tant que ces les défiés n’arriveront pas à comprendre pourquoi ils inspirent cette défiance. Si on me demandait d’ou venait cette défiance généralisée, voici ce que je dirais :

  • Défiance de politiques au pouvoir : je ne dis pas “tous pourris” car je ne le pense pas, mais il y a dans ce milieu trop de corruption, trop de cachotteries, trop de jeu de pouvoir, trop peu de vision du monde hors du commerce, trop d’évasion fiscale permise, et j’en passe.
  • Défiance de médias “mainstream” : voir mon article sur le sujet : d’une part ils ne jouent pas toujours leur rôle de médiateur en expliquant honnêtement le fond des choses, d’autre part, on ne peut pas avoir le respect d’une population (les électeurs populistes) qu’on ridiculise à tour de bras.
  • Défiance d‘“élites d’entreprise” : certains sont irresponsables, à n’avoir aucune mesure entre commerce et société/environnement/écologie ; l’échelle de 1 à 1000 voire 10000 d’écart de salaire entre patrons et salariés ne plaide pas en leur faveur non plus ; trop de paradis fiscaux, et j’en passe.
  • Défiance d’acteurs de la finance : est-ce que les paris spéculatifs, en partie responsable de la crise de 2008, ont disparu ? Loin de là.
  • Défiance d’universitaires : personnellement je n’en ai pas beaucoup, mais Marc Lazar me tend le bâton pour se faire battre… Jugez-en plutôt à son remède pour corriger ces défiances :

Marc Lazar: De ce point de vue là il y a sans doute des choses à faire. Je vais vous prendre un exemple très court et qui est lié aussi à l’Europe, qui est un grand sujet de contestation aujourd’hui. [Dissertation sur le projet Leonard, qui est l’élargissement du concept d’Erasmus aux apprentis européens]

Comment rétablir la confiance ? Expliquer pourquoi l’Europe c’est génial.
Comment rétablir la confiance ? Étendre Érasmus aux apprentis.
Ce projet Léonard est probablement aussi super qu’Erasmus, mais il n’a aucun rapport avec une défiance quelconque. L’Union Européenne est une entité complexe, avec de bons aspects et d’autres moins bons, ce qui explique que certains la supportent et d’autres non : rien d’anormal là-dedans. On trouve que l’Union Européenne c’est pas génial non plus ? Non, on ne critique pas l’Europe. L’Europe, c’est génial. Et si t’es pas d’accord, t’es populiste, idiot, irresponsable. Inquisition.
La défiance envers certains universitaires vient donc probablement de la déconnection entre ce qu’ils croient voir de la société et ce qu’ils devraient voir, entre les solutions qu’ils pensent que l’on devrait apporter et celles attendues.
Exemple ? Marc Lazar.

Je passe ensuite sur toute un passage sur Dider Raoult, intéressante mais pas essentielle pour notre point.

Léa Salamé: Emmanuel Macron […] se présentait pendant la campagne comme la figure anti-système, l’homme qui allait casser ls système et qui allait réconcilier les deux France, finalement 3 ans après il apparait comme l’incarnation absolue de ce système. Comment vous expliquez sa stratégie de discuter avec ces figures anti-système [Raoult, Zemmour, Bigard] ? Est-ce que vous comprenez la stratégie ? Est-ce que c’est une manière de les canaliser ? Est-ce qu’il a raison de faire ça ?

Marc Lazar: Effectivement, il cherche à les canaliser, [à désamorcer les potentiels outsiders, et s’ouvrir vers la droite]. Est-ce que c’est la bonne solution ? C’est vraiment la grande question qui se pose.

Voyez le débat : à en juger par le ton et les mots (canaliser) employés sous couvert d’expliquer la stratégie de Macron vis-à-vis de ces satanés populistes, on a l’impression aque ces trois acteurs donnent leur propre vision de comment soigner le populisme. On disserte de comment canaliser une partie de la population, dans laquelle je m’inclus (parce que j’ai voté blanc aux dernières présidentielles), de laquelle nos trois acteurs s’excluent. Marc Lazar n’est pas le conseiller politique de Macron, mais il est tout comme, par défaut. Il réfléchit à comment gagner en 2020 contre les populistes. Son anti-populisme le hante.

Marc Lazar: [… suite]: face à un style de type populiste, par exemple pour aller vite Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, est-ce que ceux qui veulent les combattre doivent aller sur leur terrain du point de vue du style, redoubler de populisme pour l’emporter, ou est-ce qu’ils doivent avoir une stratégie complètement opposée [celle d’être expert, universitaire, presque ennuyeux comme Romano Prodi face au démagogue Berlusconi par exemple]. C’est le grand dilemme. Emmanuel Macron en 2017 avait utilisé un certain style populiste, incontestablement, même sur le fond, [même s’]il défendait l’Europe, et évidemment ce n’était pas comparable avec son adversaire Marine Le Pen. Mais ça va être son grand enjeu pour 2022, s’il se représente.

Et s’il y avait un juste milieu entre le démagogue né, qu’il soit pro ou anti union européenne peu importe, et l’expert en tout et en rien ennuyeux au possible ? Quelqu’un qui ne soit pas à défendre n’importe quelle cause de manière aveugle et religieuse, l’Union Européenne par hasard et par exemple ? On voit dans cette réponse que le clivage autour de l’Union Européenne semble vraiment être la bascule entre populiste et anti-populiste. C’est bien dommage, j’aurais préféré que ce soit entre démagogue et non démagogue. Assimiler le souhait d’une autre Union Européenne, voire de son abolition, à de la démagogie, refuser le débat autour de son existence, c’est penser l’Union Européenne comme une religion et c’est bien dommage. Il y a de la démagogie partout, aussi bien chez les pourfendeurs que chez les défenseurs de l’Union Européenne : que le journalisme combatte la démagogie, c’est là son rôle, et qu’il arrête de faire avancer l’obscurantisme. Poursuivons.

Christelle, une auditrice: [En gros, elle dit qu’elle avait tout à fait confiance avant la crise, mais cette confiance s’est emoussée parce que le gouvernement a bluffé, elle aurait préféré qu’on lui dise qu’on sait pas tout, et le sujet des masques a fini de lui faire perdre confiance, elle aurait préféré qu’on lui dise qu’il n’y a pas de masques plutôt qu’il n’y en a pas besoin, et elle a été désolée qu’on réquisitionne les masques destinés aux espagnols et italiens]

Christelle est tout à fait représentative de cette déconnection entre élite intellectuelle et reste du peuple. Son sentiment est simple, clair, précis, logique, imparable. Beaucoup plus intéressant que les raisonnements alambiqués de notre universitaire.

Marc Lazar: [Récapitulatif des erreurs faites par tous, de la gripette aux italiens et leur piètre système de santé, etc., pour finir par les masques] C’est vrai que sur la question des masques et des tests le gouvernement a fait des erreurs de gestion de crise et de communication, et donc incontestablement ça n’a fait que renforcer cette défiance profonde que nous enregistrons depuis des années.

Merci Marc Lazar, et Christelle surtout, pour l’avoir amené à s’éclaircir l’esprit. Pour un temps seulement, car voici que le feu d’artifice commence…

Léa Salamé: Est-ce que vous diriez que les populistes sortent gagnant de cette crise ? […] En clair, est-ce que ça profite à Marine Le Pen et à Salvini ?

Marc Lazar: Là il faut distinguer deux choses : la première c’est qu’actuellement, malgré les critiques dures des populistes du type Le Pen et Salvini contre le gouvernement, dans toutes les intentions de vote, ils ne profitent pas. [Salvini encore plus, même s’il reste premier parti politique d’Italie] En France, Macron bat des records d’impopularité, mais ça ne profite pas à ses adversaires potentiels. […] Ça c’est une chose.

Nicolas Demorand: Mais il y a la bataille des idées, aussi. Souveraineté, frontières, nation…

Marc Lazar: Exactement, et là je crois qu’il y a deux hypothèses. La première c’est de dire que justement, à l’occasion de cette crise du COVID-19, les populistes ont démontré toutes leurs limites, parce que face à une situation d’urgence, ils ont tenu surtout, je dois dire d’avantage en Italie qu’en France, des propositions incohérentes, ils se sont contredits d’un jour au lendemain, Salvini a commencé par dire “faut tout fermer”, c’était au mois de février, trois jours plus tard il a expliqué à tous les européens “venez en Italie” […] pour ne prendre qu’un exemple, et donc ils ont montré leur démagogie, leur incohérence. Et donc ça profitera aux formations plus responsables, on va avoir un retour des partis responsables et les populistes ont, d’une certaine façon, atteint leur limite.

Mais dans quel monde a-t-il vécu pendant ce confinement ?

Les masques : on en a plein, pas de problème. Puis on en a pas besoin. Puis on ne sait pas les mettre. Puis c’est dangereux. Puis ça arrivera en juin. Puis on en a. Puis ils sont obligatoires dans les transports. Puis, restrospective : “on a jamais été en rupture”. L’école: on ne fermera pas les écoles, puis le lendemain on les ferme. Les frontières : le virus n’a pas de frontière, puis finalement on les ferme, on confine tout le monde - donc avec une frontière en bas de sa porte - puis on limite la frontière à 100km de son domicile.

Parce que ces mots ne sont pas prononcés par quelqu’un catégorisé de populiste, parce que ces actes sont faits par des hommes politiques jugés responsables, en opposition aux populistes irresponsables, ils sont omis par les analystes de l‘“élite” dont se prévaut Marc Lazar. Mais, on le voit clairement ici, lorsqu’un soit-disant populiste ouvre le bec et dit une aberration qu’aurait pu dire un soit-disant responsable, on ne le loupe pas. Différence de traitement flagrante. J’aurais préféré qu’il soit aussi vindicatif sur les deux personnages.

L’anti-populisme, ou le combat qui se trompe de cible. Repérer et déconstruire la démagogie où qu’elle soit, oui, regrouper les critiques de l’Union Européenne dans le camp des populistes puis les dézinguer, non.

Marc Lazar: [suite] Et puis y’a une autre interprétation qui consiste à dire qu’à la sortie de cette crise, ça va ouvrir une sorte de gigantesque boulevard aux populistes, qui vont pouvoir critiquer le gouvernement sur le nombre de morts, sur la situation sociale, critiquer l’Union Européenne

Léa Salamé: [elle coupe] et revendiquer une forme de victoire idéologique, pardon Marc Lazar : Marine Le Pen, à ce micro, disait le 26 février : “Je suis étonnée de voir que l’Union Européenne, qui n’a pas dit un mot dans cette affaire, le seul propos qu’elle a tenu c’est de condamner ceux qui envisageraient de maitriser les frontières, y compris de manière temporaire. Cela prouve l’idéologie, presque la religion du sans-frontièrisme des dirigeants de l’Union Européenne”. Finalement, l’Union Européenne a fermé les frontières. Est-ce qu’elle n’avait pas raison ? Est-ce qu’il ne faut pas dire les choses aussi ?

Et si de temps en temps, effectivement, la raison était ailleurs que dans les partis pro-européens ? Et si cette histoire de populisme-débile-à-souhait était absurde-à-souhait ? Et si cette manière de voir le monde, populisme contre anti-populisme, était absurde, néfaste, contre-productive, dangereuse ? Et si, comme le fait Léa Salamé ici, le journalisme mainstream se reprenait en resituant plus souvent le débat de manière plus honnête ?

Je pense sincèrement qu’on peut compter sur des journalistes de la trempe de Léa Salamé et Nicolas Demorand voire Thomas Legrand l’éditorialiste pour effectuer ce changement durablement. Ça prendra un peu de temps encore, mais ils en sont capables, en témoigne cette dernière question.

J’ai beaucoup moins d’espoir en revanche en ce qui concerne Marc Lazar, que je ne connais pas mais qui ne vaut pas le coup d’être connu plus que ça me semble-t-il. Allez comprendre la fin de son analyse.

Marc Lazar: Vous avez tout à fait raison, et ça sera leur grand argument: “nous avons toujours dit qu’il faut fermer les frontières, finalement on l’a fait, ça prouve, justement, c’est l’administration de la preuve que nous avons raison”, vous avez tout à fait raison ! Et ça ils ne manqueront pas de le marteler, et il marteleront un autre, un grand argument: “nous sommes capables de protéger”, et je termine là-dessus : [un sondage dit en Italie que les citoyens préfèrent la protection à la liberté.]

Léa Salamé dit que lesdits populistes ont probablement eu raison sur la religion du sans-frontièrisme, Marc Lazar dit qu’elle a raison, donc qu’ils ont raison, et qu’ils diront qu’ils ont raison, ce qu’ils ont le droit de faire puisqu’ils ont raison sur ce coup-là : où est le mal ? On sent pourtant une pointe de dégout de cette perspective dans le jugment de notre invité… C’est peut-être aussi ce dégout envers ce que pensent d’autres que lui, qui amène ces autres que lui à ne pas l’apprécier à sa juste valeur.

L’anti-populisme en tant que religion politique, inquisitoriale, relevant de l’obscurantique, de l’obsession iraisonnée, doit cesser. Il en va de la sérénité de nos démocraties.

Cessera ? Cessera pas ? Inch’allah…